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La démocratie helvétique à l’heure de la crise écologique

« Appel du 4 mai, pas de retour à l’anormale » pouvait-on lire lundi dans les rues ensoleillées de Lausanne. "Call of May 4, no return to the abnormal," one could read last Monday on the sunny streets of Lausanne.

by Adriana Stimoli

Une manifestation en période de distanciation sociale? C’est peut-être possible. Vigilants quant au respect des mesures sanitaires, des activistes se sont ainsi réunis en ce 4 mai 2020 dans diverses ville du canton de Vaud et de Genève. Ils et elles ont notamment tracé au sol un carré de 4m2 avec craie et scotch, tout autant de moyens du bord pour assurer les deux mètres de distance entre chaque individu. 

Leurs revendications? Que le redémarrage économique post-coronavirus soit « durable, local et humaniste ». Une pétition défendant cet objectifs a d’ailleurs été remise à Berne, lors de la session extraordinaire du lundi 4 mai. 

Une manifestation courageuse et nécessaire diront certains, insouciante et provocante rappelleront d’autres. La question de la légitimité des actions de la semaine dernière suscite des réponses sans doute propres à chacun. Surtout, l’on retiendra que la crise écologique n’est pas affaire oubliée. Les moyens dont disposent désormais les activistes climatiques pour faire entendre leur voix  — eux qui ont été si audibles tout au long de l’année passée —  représentent un challenge de plus posé par la crise sanitaire actuelle. 

Dans l’idée de revenir sur l’activisme écologique au sein d’une Suisse souvent perçue comme lisse en termes de suspens politique, nous vous partageons l’article d’Adriana Stimoli, paru dans The Revolution Issue en mars dernier. 

A demonstration in times of social distancing? It might be possible. Vigilant about compliance with sanitary measures, different activists met last Monday, May 4 across various cities of the Cantons of Vaud and Geneva. There, they drew on the ground a square of 4m2 with tape and chalk sticks to ensure that the crucial two meters of distance between each protester were respected. 

Their claims? Making certain that the post-coronavirus economic recovery is “sustainable, local and humanistic.” A petition claiming these precise objectives was also delivered to Bern during the extraordinary parliamentary session of that Monday. 

Some will say that this was a courageous and necessary demonstration; others will remark it as carefree and provocative. The question of the legitimacy of yesterday’s actions might elicit answers specific to everyone’s political sensibility. Still, last week’s demonstration was a strong reminder that the ecological crisis is not a forgotten affair. But the means now available to environmental activists to make their voices heard present itself as one more challenge posed by the current health crisis.

Finally, in order to understand the ecological activism in a Switzerland that is often perceived as smooth, to say the least, in terms of political suspense, we want to share with you this article by Adriana Stimoli published in The Revolution Issue released last March.


A quelques jours du World Economic Forum de Davos, le vendredi 17 janvier 2020 marquait le premier anniversaire lausannois de la grève contre le climat, avec 15’000 participants réunis à Lausanne d’après les organisateurs, et 10’000 selon les forces de l’ordre. Un an donc, que la foule s’est emparée de la rue au nom de la défense du climat, bousculant un calme suisse tout relatif.    

Bon gré mal gré, certains clichés sont coriaces et ont la peau dure. Il n’est ainsi pas rare d’entendre des discours qui brossent le portrait d’une Suisse où calme et ennui règneraient en maître. Surtout, face à nos voisins français qui n’hésitent pas à descendre dans la rue afin de revendiquer leurs droits sociaux et dénoncer une précarité sociale niée par les autorités, les suisses préféreraient passer par les urnes. La démocratie directe helvétique – ou plutôt semi-directe comme vous le rappellerait, pas peu fier de lui, tout jeune bachelier en sciences politiques – offrirait le luxe de ne pas avoir à s’emparer des espaces publics pour y scander haut et fort de pugnaces slogans, dont l’originalité ferait peut-être esquisser un vague sourire à celles et ceux qu’ils dénoncent. 

Toutefois, les grands mouvements sociaux – au sujet du climat mais aussi concernant l’égalité homme-femme avec la grève du 14 juin en tête – qui ont émergé avec éclat en 2019, renversent le cliché d’une Suisse tranquille où bulletins de vote et urnes se complètent et se suffisent. En particulier, ce sont de nombreux jeunes et adolescents qui paraissent plus présents que jamais dans les rues, comme le révèle l’exemple des grèves du climat et manifestations lausannoises. En ce 17 janvier 2020, Greta Thunberg était d’ailleurs l’invitée d’honneur de la grève, affichant une mine déterminée sous le Palais de Rumine, face à des milliers de personnes dont plusieurs dizaines de journalistes. D’icône à héroïne, mais aussi largement critiquée par des politiciens ne prenant pas la peine de voiler leur condescendance à son égard, la célèbre militante suédoise symbolise la question générationnelle que la lutte contre le climat pose. C’est en effet le champs politique dans son entier qui bascule, avec une génération qui n’attend pas qu’on lui passe le micro (ou dans ce cas, le droit de vote) pour élever la voix et faire entendre clairement mais non sans humour, ses revendications. Ainsi, lors de la manifestation de vendredi, c’est une série de codes et slogans propres à une (très) jeune génération qui sont scandés comme affichés, et qui viennent porter un coup – peut-être décisif – à l’idée d’une Suisse lisse. 

Des urnes à la rue : quel écart ? 

Si l’engouement voire le courage d’une jeune génération attise l’admiration, il pose aussi la question d’une classe politique suisse parfois hermétique aux actions et revendications portées par les mouvements écologistes. A cet égard, le fossé entre les urnes et la rue, le système politique et les citoyens, aura rarement paru aussi tranché qu’à l’heure de la non-élection de Regula Rytz. Présidente des Verts et candidate au Conseil fédéral, la bernoise n’a pas été élue par le parlement national début décembre 2018, avec seulement 45 voix contre 145 pour le membre du Parti libéral-radical Ignazio Cassis, fortement plébiscité par l’ensemble des partis sous la Coupole, à l’exception du Parti socialiste et des Verts. 

Ce fossé interroge et dans le paysage houleux d’une Suisse traversée par des mouvements sociaux, c’est également la question de la légalité des moyens – et non tant des fins – qui émerge. Face à l’inertie du système politique et à l’instar d’Extinction Rebellion (XR), des activistes écologistes n’hésitent pas à recourir à des méthodes extra-légales débouchant sur des parties de tennis endiablées chez Crédit Suisse, une Limmat colorée d’un vert inoffensif, du charbon déversé dans les locaux d’UBS ou encore un Pont Bessière bloqué des heures durant. Revendiquant l’usage de la désobéissance civile non violente, le mouvement écologiste international présent en Suisse, et fondé au Royaume Uni en mai 2018, rend sa présence visible à travers un continuum d’actions chocs, dont la portée symbolique ne saurait être modérée. Surtout, ses méthodes tranchent avec le mythe d’une démocratie helvétique sage comme efficace de par la régulière convocation des citoyens à passer aux urnes. XR est perturbateur presque par essence car c’est dans la disruption que le mouvement tire son efficacité. En occupant l’espace public, XR s’adresse directement au gouvernement suisse, demandant entre autres « la vérité sur l’urgence climatique », la neutralité carbone d’ici à 2025 et la mise en place d’assemblées citoyennes. Finalement, la récente décision délivrée au tribunal de Renens d’acquitter les activistes écologistes qui s’étaient pris pour des Federer en herbe dans la succursale lausannoise de la banque Crédit Suisse, dresse un pont entre légalité d’une part et actions extra-légales justifiées par l’urgence climatique de l’autre. En Suisse où propre en ordre est parfois un adage répété, il est sans doute crucial de reconnaître que l’actuel cadre légal, et donc politique, ne suffit peut-être plus à une époque où beaucoup de jeunes comme de moins jeunes ne restent pas les bras croisés face à une planète qui – malheureusement très littéralement – ne cesse de brûler.

Photo par @xrlausanne sur Twitter et Instagram

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