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Introspection sur une vie qui ne vous intéressera pas plus que ça

Par Dario De Quarti

“You can’t send messages anymore to this group because you’re no longer a participant”. Pour la première fois de ma vie, ce message automatique est teinté d’une profonde nostalgie. Ce soir-là, je quittais l’aventure humaine la plus passionnante de mon passage à l’Institut. La plupart d’entre vous n’en ont rien à faire de mes sentiments, mais j’ai quand même décidé d’en parler. Ne les lisez pas, vous n’apprendrez rien.

C’est arrivé de nouveau. Depuis que je suis à l’Institut, cela semblerait presque répétitif. Me revoilà à écouter Alec Benjamin et Lomepal à 1h00 du matin en lisant les actualités. Pour soigner mon mal-être, me voilà encore une fois à préparer des emails pour la semaine, écrire des articles, en éditer d’autres, ou encore lire quarante-cinq pages internet sur l’Histoire de pays dont je ne connaissais que le drapeau. Les crises éclatent en boucle, et au-delà d’être inquiet parce qu’il s’agit de situations horribles, cela me déchire encore une fois de voir que des ami.es sont en train de tout perdre du jour au lendemain à cause de l’égocentrisme de certains puissants fous.  Depuis mon arrivée à l’Institut, cela sent le déjà-vu : Ukraine/Russie, Israël/Palestine, Sri Lanka, Hong Kong, Ouïghours, Colombie, Venezuela, Afghanistan, Madagascar… La liste est interminable et jamais exhaustive. Moi, ce « mâle blanc chrétien européen cisgenre de classe moyenne supérieure », paroxysme des privilèges, souffre à nouveau. À l’Institut, toute souffrance dans le monde atteint des personnes autour de nous, leurs personnalités, leurs ambitions et leurs carrières : c’est ainsi que notre fragilité émotionnelle intrinsèque s’en trouve amplifiée au moindre événement. Je ne suis pas sri lankais, ukrainien, russe, palestinien, israélien, et j’ai pourtant passé des nuits à me renseigner sur l’histoire de ces peuples, le cœur tiraillé par l’impuissance, les yeux pleins. À chaque période de tumultes, je me retrouve non seulement impliqué en tant qu’être humain, mais également émotionnellement atteint en tant qu’ami. J’aurai beau faire de mon mieux pour aider mes amis, rien ne changera à la géopolitique internationale. 

J’ai rejoint The Graduate Press par volonté d’intégration à l’Institut. Les étudiants en Économie sont souvent vus comme des ermites restant dans leurs régressions linéaires et leurs fichiers LaTeX. Cette image m’horrifie. Un économiste est pour moi un individu qui est si passionné par le fonctionnement de la société qu’il tente d’en avoir les clés de lecture les plus valides possibles afin d’en décrypter ses rouages. L’économie permet de déchiffrer les mécanismes de notre environnement et de les traduire en un langage compréhensible. Comment peut-on alors être économiste et en même temps isolé de la société ? Cela me semble antithétique.

Le journalisme recouvre d’un prisme similaire. Tout comme l’économiste, le journaliste est toujours en quête de vérité sur la société qui l’entoure. J’ai adoré interviewer des Russes et des Ukrainiens, car j’avais l’impression de comprendre un conflit de l’intérieur, de m’insérer dans les rouages d’une mécanique que, autrement, je n’aurais pu qu’observer de l’extérieur. J’ai été passionné par ces étudiants occupant la cafétéria, peut-être justement parce qu’ initialement je ne comprenais pas leur colère, et qu’en œuvrant pour le journal, j’ai pu obtenir des clés de lecture différentes. 

Pour moi, en tant que catholique pratiquant, ma doctrine a toujours été de tendre la joue droite lorsqu’on te frappe sur la joue gauche. Je préférerai mille fois mourir que devoir tuer, parce que je suis convaincu que notre existence sur Terre n’est qu’une préparation vers quelque chose de bien plus beau et plus grand. Mais, dans ce que certains pourraient juger comme naïf, je me retrouve souvent frappé sur les joues de mon cœur sidéré face à l’actualité. 

The Graduate Press a sans nul doute été ma réponse naturelle face à ces événements, comme une vocation cathartique. C’était ma façon d’apporter ma pierre à l’édifice. La vocation de TGP est de promouvoir les voix étudiantes. TGP m’a permis de libérer ma voix ; de la libérer du joug de l’impuissance face à des situations qui ne faisaient que m’affaiblir. C’est en cela que réside la splendeur du journalisme : alors que le nom du journaliste est souvent oublié, l’article permet une mise en abîme extrêmement puissante pour un lecteur naviguant de l’indifférence à, si nous atteignons notre but, l’implication intellectuelle. Chez l’écrivain, en l’occurrence moi, créer cette œuvre me permettait de donner un sens profond à mes soirées avec X-Men de Lomepal en boucle. Le lendemain, je pouvais ainsi écouter mes PLK et Ninho déterminé afin de retourner le sourire aux lèvres à la maison de la Paix.

La Maison de la Paix. Peut-être que je comprends enfin son nom. Comme m’a récemment dit un ami, « la coopération internationale ne sert pas à éviter les guerres, elle sert à les limiter ». C’est cruel, mais si réel. La Maison de la Paix s’est donnée pour mission de préparer des jeunes à ce monde de la coopération, mais pour moi, elle parvient avant tout à faire ce qui est impossible au niveau diplomatique : elle crée des ami.e.s, avant de créer des diplômé.e.s. La première chose que nous avons tous fait à l’Institut a été de nouer des amitiés, participer à des événements, créer du lien avec ces étudiants venant de toute la planète. Je ne pense pas que cette réalité soit parfaite, mais pour moi elle a parfaitement fonctionné. Elle m’a rendu totalement dépendant de mes ami.e.s dans ma lecture de toute actualité internationale. Lorsque je vois une bombe sur un pays, c’est un visage qui vient à mon esprit. Ce sont des rires, des moments de complicité, de pureté.

Cela vous semblera naïf, mais c’est ainsi que j’aimerais conclure mon aventure à TGP. En concluant que la force la plus puissante de ce monde, ce ne sont pas la diplomatie, l’arme nucléaire, ou encore l’alliance militaire. Vous aurez beau devenir ambassadeurs, ministres, chercheurs ou professeurs, vous ne changerez pas le monde. Peut-être que vous en changerez des bouts, mais je vous souhaite surtout de changer votre Monde. Je vous souhaite de ne jamais oublier les personnes que vous avez ne serait-ce qu’entrevues dans les couloirs du Pétale 2. Quand vous prendrez une décision, qu’elle soit politique, commerciale, militaire… Pensez à toutes ses conséquences humaines d’abord. Car c’est là le seul trésor que je retiens de l’Institut. Ils auront beau tenter de me dire que nous avons tous des identités différentes, des cultures incompatibles, je ne le vois pas. Je ne vois que des amis qui, encore une fois, vont souffrir.

Oui, je sais être très platonique. Pour moi, la force la plus puissante de notre monde est l’Amitié. C’est cette once d’humanité dont nous sommes tous imprégnés. Si seulement nos leaders pouvaient se remémorer de cette once d’humanité envers des individus qu’ils ont considéré par leur cœur avant de les voir par leur drapeau, le monde tournerait différemment. Peut-être que si Poutine ou Xi Jinping avaient un jour créé ce chaînon envers une Ukrainienne ou un Hongkongais, ils réfléchiraient différemment. Ou peut-être pas, mais laissez-moi y croire. Quant à moi, je continuerai à trouver mes Graduate Press personnels afin de retrouver le sommeil lorsque certains des rouages de mon cœur se retrouvent démolis par ce que nul ne maîtrise, mais que chacun devrait posséder en sa maison : la Paix.

Voilà, vous n’avez sans doute rien appris. Ceci dit, cela vous rappellera quelques cours de votre expérience iheid-ienne (oups). Moi, par contre, j’ai pu me libérer. Le pouvoir cathartique de l’écriture, voilà mon addiction personnelle. Allez, je retourne dormir.

2 comments on “Introspection sur une vie qui ne vous intéressera pas plus que ça

  1. Jean-François Bayart

    Cher Dario
    Très beau ton papier. Je l’ai fait suivre à Béatrice Hibou qui a commencé sa carrière comme économiste et à un ami journaliste
    Amicalement

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    • Dario De Quarti

      Cher Jean-François,
      Merci beaucoup du commentaire et du partage, cela me touche vraiment !
      Amicalement, Dario.

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