Par Dario De Quarti
Hong Kong, péninsule du Sud-Est asiatique, est une région administrative spéciale de la République Populaire de Chine depuis sa rétrocession en 1997. Ancienne colonie britannique, le régime politique hongkongais est partiellement indépendant de celui de Pékin grâce à la Loi Fondamentale et au principe « Un pays, Deux systèmes ».
Cependant, les liens ne cessent de se renforcer, notamment en vue de l’intégration finale du territoire en 2047 et avec la Loi sur la Sécurité Nationale votée l’année dernière. La population se retrouve ainsi tiraillée entre une ancienne réalité britannique prônant des valeurs de liberté d’expression et de démocratie, et une nouvelle présence de plus en plus affirmée implémentant les valeurs et mesures du Parti Communiste Chinois: plus paternalistes et prônant une certaine homogénéité de pensée.
Le monde journalistique hongkongais est en conséquence caractérisé par cet héritage double, la plupart des publications se positionnant clairement d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique. Ainsi, certains journaux tels que Apple Daily ou Hong Kong Free Press sont très clairement prodémocratie, comme ils aiment se déclarer, au point que le propriétaire de Apple Daily, Jimmy Laï, est l’un des leaders des manifestations ayant lieu depuis 2019. Ce dernier s’est ainsi retrouvé emprisonné de multiples fois pour ses engagements politiques et vient de subir une énième condamnation majeure d’un an et deux mois de prison.
Par conséquent, aussi bonnes que soient leurs intentions, ces publications peuvent difficilement être considérées comme des sources d’information neutres au vu de leur couverture médiatique amplement en faveur de leurs idées. L’antipode journalistique se trouve dans la présence de certains médias aux faveurs de Pékin, tels que le média gouvernemental CGTN ou le journal Headline Daily ayant l’un des plus grands tirages de l’île. Le Headline Daily distribue quotidiennement un million de copies, ce qui représente un pourcentage impressionnant considérant les sept millions et demi d’habitants. Cependant, bien que plutôt pro-Chine, ce journal partage avec Métro et AM730, les deux autres tirages principaux, le format tabloïd : des articles condensés permettant à la classe populaire de s’informer rapidement sur les sujets locaux majeurs. Ainsi, leur biais politique est en général moins présent puisque leurs articles traitent davantage de la vie quotidienne sans portée idéologique. CGTN représente le média le plus contrôlé par Pékin et expose quant à lui une vision à travers une lentille “pro-establishment”.
Cependant, il existe des irréductibles résistants face à cette réalité dichotomique : le South China Morning Post en fait partie. Bien que certains éveilleront leurs critiques même sur ce quotidien, il reste à ce jour le tirage en anglais le plus objectif et le plus lu de la péninsule.
Propriété d’Alibaba Groupe depuis 2016, un virage amplement pro-Pékin était craint du côté des critiques. Jack Ma, propriétaire d’Alibaba, arrive pourtant à jouer subtilement avec la ligne séparant ce qu’il est possible de faire ou non avec les autorités, en « étant amoureux du gouvernement sans jamais se marier avec lui » comme estime son biographe (Duncan Clark, Alibaba. L’incroyable histoire de Jack Ma, le milliardaire chinois, éditions François Bourin, 2017).
La réalité montre une rédaction diversifiée en avis et position ainsi que des articles n’allant pas dans un sens prépondérant de façon constante. La recette face à cela est simple : une distinction claire entre articles d’opinions et factuels n’entremêlant jamais les deux, et un corps journalistique très diversifié. Ainsi, on trouve 107 journalistes de Hong Kong, 61 Britanniques, 52 chinois et 70 d’autres pays du monde, prouvant une réelle diversité du corps éditorial. Un journaliste chilien, italien ou égyptien font par exemple partie de l’équipe.
Par ailleurs, leur charte éthique prohibe formellement l’ajout d’opinions à tout article factuel. La présentation des articles sur le site met clairement en avant les articles factuels, reléguant les opinions à des bannières secondaires ou des onglets, de telle sorte que le lecteur avisé sait où il se trouve lorsqu’il recherche un tel avis. De plus, les opinions présentées sont toujours multiples et couvrent l’entier du spectre politique de la péninsule.
Hors des opinions, les articles factuels adoptent la formule très simple de la description la plus inanimée possible. Le but n’est pas de véhiculer certaines émotions ou de gagner en lecteurs, mais bel et bien d’informer. Et là, nous retrouvons sûrement la leçon la plus importante pour un journal afin de survivre dans un milieu géopolitique aussi complexe : informer sans politiser.
S’il souhaite devenir un quotidien politique, cela doit être clair. Cependant, il risque de se faire museler par les autorités d’un côté ou de l’autre et de perdre la moitié de ses lecteurs qui divergent en opinion. Autrement, la neutralité et la description les plus factuelles possibles doivent être la règle permanente pour assurer une cohérence avec les valeurs du métier et créer la possibilité d’adresser la plupart de la population. Il ne s’agit pas de dévoiler les torts ou raisons d’une situation dont le jugement ne dépend de toute façon qu’en grande partie de notre conviction, mais plutôt de se limiter à un œil extérieur narrant des faits. Chaque lecteur, connaissant les faits, aura la capacité de se faire personnellement sa propre opinion. Hors, si l’opinion se trouve déjà dans l’article, un réel problème émerge : où trouver les faits, ni plus ni moins, si ce n’est dans le quotidien majeur de l’île ?
Le code de conduite et d’éthique du South China Morning Post est résumé dans la première phrase de leur charte : « notre mission est d’élever la pensée, et notre mission est de mener à une conversation globale sur la Chine ». Face à l’émergence mondiale des fake news, des opinions à tout-va, des couvertures médiatiques biaisées et de l’utilisation des réseaux sociaux véhiculant des vidéos empathiques et subjectives sur tous les fronts, il est plus que jamais crucial de souligner l’importance de ces quotidiens factuels dans des contextes si tendus. Il est clair que depuis la Loi sur la Sécurité Nationale les articles d’opinions sont plus filtrés et les articles couvrant les mouvements manifestants ont été réduits. Tout lecteur du SCMP a pu le remarquer, mais il n’en demeure pas moins que la réalité pré-loi et l’actuelle restent proches des valeurs du métier et de l’engagement quotidien à transmettre les faits autant que possible.
Afin d’éviter un muselage total comme cela arrive à Apple Daily ou à d’autres médias importants comme RTHK (comme en témoigne la sanction vécue par une journaliste juste hier pour avoir, dans un article d’investigation contre la police hongkongaise, accédé à des données publiques illégalement en faisant des « fausses déclarations »), SCMP se devra de conserver ce code.
Alors que Hong Kong est en chute libre dans les indices mondiaux de liberté de presse depuis une décennie, il sera intéressant de voir au cours des prochaines années comment la presse hongkongaise trouvera ses solutions adaptées pour continuer à véhiculer l’information la plus complète possible.
Letters from the Editors is a rotating column, written by the Graduate Press Editorial Board. It is meant to serve as a platform to discuss regional, personal, and political issues surrounding the role of journalism and freedom of speech in their respective societies.
Photo from Dario De Quarti
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