By Rebecca Boudon, French Editor of The Graduate Press
Je consomme, je ne produis pas, alors tout va bien ? Les chaînes de production : la partie submergée de l’iceberg.
Vous rappelez-vous de ces calculatrices TI (Texas Instruments) que nous avions au lycée ? A cette époque, j’utilisais innocemment cet instrument, pensant avoir un simple appareil de calcul demandé par mon établissement. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé l’ampleur de ce qu’il se cachait derrière ce nom.
Texas Instruments, une firme qui, d’après quelques lignes tirées de leur site web, conçoit, fabrique, teste et vend des puces de traitement analogiques et embarquées. Autrement dit, de l’informatique d’appui, d’où nos calculatrices. Cependant, pour TI ainsi que pour beaucoup d’autres firmes, bon nombre d’enquêtes journalistiques et recherches de terrain ont dévoilé une activité qui va bien plus loin que ne le laisse imaginer les sites web. Il est maintenant révélé, prouvé, su mais non reconnu, que celles-ci peuvent être impliquées dans la fabrication, la vente et l’exportation d’armes à de grandes puissances étatiques, ou non, en conflits. Ce type d’agissement a mené à l’implémentation de nombreux embargos, mais qui, les uns après les autres, s’avèrent inefficaces, le commerce mondial étant trop complexe et dissimulant une quantité infinie de portes dérobées entre chaque acteur de la chaîne.
Le point de cet article n’est pas de plonger dans les limbes du commerce mondial d’armes, mais plutôt, de partager ma pensée lorsque j’avais découvert ce fait la toute première fois.
Les chaînes de production, de n’importe quel objet, sont si longues, avec un tel nombre d’acteurs, un tel nombre d’étapes, et un tel nombre de kilomètres les séparant. De nos jours, si une personne se demande ‘quel acteur a quel rôle dans la chaîne ?’, il est devenu presque impossible de lui répondre. Et cela me fait re-questionner mon propre rôle. A l’heure actuelle, étant étudiante, je me considère comme consommatrice, la plus éthique possible, mais rien de plus. Et malgré tout, j’ai chez moi un objet provenant d’un commerce que je ne cautionne pas. Qui sait, peut-être ai-je d’autres produits de ce style sans même que je ne le sache.
Alors, par manque d’information et par manque de transparence de ces chaînes, nous perdons de vue notre propre responsabilité ainsi que celle des autres. Et cela a pour effet pervers de nous servir de justification lorsque nous refusons de changer nos habitudes, alors même qu’il a été prouvé qu’elles pouvaient avoir un impact non éthique. Je consomme, je ne produis pas, alors tout va bien ?
L’invisibilisation du rôle de chacun.e dans les chaînes de production, un fait qui nous sert à responsabiliser l’autre, tout en nous dé-responsabilisant. C’est par rapport à ce point précisément que je souhaiterais vous partager une œuvre d’art : Inextinguishable Fire, 1969, par Harun Farocki.
Un court métrage, documentaire, expérimental, au style essayiste qui combine texte, narration et images. Un film critiquant la guerre du Vietnam et le rôle de l’industrie dans la production d’armes chimiques. Cette œuvre de Farocki décrit les phases de dissociation que nous vivons lorsque nous regardons les images médiatiques d’atrocités. Il examine comment l’abstraction du travail nous rend inconscients de notre complicité dans la violence de la guerre. Enfin, l’artiste dénonce les mécanismes par lesquels la responsabilité est différée, ainsi que la culture d’entreprise et les incitations au profit qui servent à normaliser les actes de guerre.
Voici quelques citations tirées du film, qui je l’espère, vous donneront envie de le visionner :
« Si nous vous montrons le napalm en action, si nous vous montrons les dégâts du napalm, vous fermerez les yeux. D’abord vous fermerez les yeux sur les images ; ensuite vous fermerez les yeux sur les souvenirs ; ensuite vous fermerez les yeux sur les faits ; ensuite vous fermerez les yeux sur les liens entre eux. » (Ma traduction).
« Quand le napalm brûle, il est trop tard pour l’éteindre. Il faut combattre le napalm là où il est produit : dans les usines. » (Ma traduction).
La dernière illustration de mon propos se fera à travers la dernière scène de l’œuvre : un même acteur se présente comme un ouvrier, un étudiant et un ingénieur. L’ingénieur, tenant un aspirateur dans une main et une mitraillette dans l’autre, dit : « Je suis ingénieur et je travaille pour une entreprise d’électricité. Les ouvriers pensent que nous produisons des aspirateurs. Les étudiants pensent que nous fabriquons des mitraillettes. Cet aspirateur peut être une arme précieuse. Cette mitraillette peut être un appareil électroménager utile. Ce que nous produisons est le produit des ouvriers, des étudiants et des ingénieurs. » (Ma traduction).
Alors, quel est votre rôle ? Oserez-vous le découvrir ?

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